Vallen - Gaiden 1

L'alarme résonnait dans le petit village de province.

Dans le coin, il ne se passait jamais rien d'insolite. Un mariage par-ci, une fête par-là, mais certainement pas quoi que ce soit de grande envergure. D'accoutumée, les riverains se satisfaisaient de cette vie paisible, quelque peu en marge. Des représentants de l'organisation venaient de temps en temps pour vérifier l'avancée des récoltes. Lorsqu'elles étaient prêts, ils payaient les agriculteurs locaux avant d'emporter la marchandise ; puis ils ne montraient plus le bout de leur nez jusqu'à la saison suivante. Aucune force de police n'était sollicitée, car aucun délit n'était jamais commis. Les gens se connaissaient, se respectaient, s'appréciaient. Pour autant, ils n'oubliaient pas qu'ils faisaient partie d'un tout plus grand, d'une nation qui, à l'instar du monde, était en péril. Ils avaient installé leur dispositif de sirènes et bâtis leurs bunkers dans les villes d'envergure de la région. La réalité, néanmoins, était bien différente de la théorie, et la panique l'emporta lorsque les khaans attaquèrent.

La situation semblait irréaliste. Les sauterelles attaquaient habituellement les métropoles ou les zones industrielles. Elles démolissaient coup sur coup les futures manufactures d'armes dont la construction était à peine débutée, les empêchant d'aboutir et assurant ainsi leur sécurité. Leurs actes de destruction faisaient donc sens si l'on considérait qu'ils prenaient soin de faire le plus de dégâts possible ; cela s'apparentait même à un semblant de stratégie. Alors pourquoi s'en prendre à eux, des provinciaux isolés ? Ils n'avaient que de médiocres talents, et leur effort de guerre n'était pas plus qu'une goutte d'eau dans l'océan. Ces créatures ne pouvaient être comprises. Vallen, dix ans tout au plus, au centre de ce chaos, cherchait ses parents des yeux. Il courait à en perdre souffle, une branche à la main. La peur le terrassait, mais celle due à l'éventuelle perte de ses proches surpassait celle pour sa propre vie.

-Vallen, par ici !

Le garçon chercha des yeux la source de ce cri. C'était le mari de l'épicière, depuis le pallier de sa porte entrouverte. Il lui faisait des grands signes. Loin derrière Vallen, à l'autre extrémité de la rue, deux sauterelles s'acharnaient sur un homme dont on ne pouvait plus que distinguer la vague silhouette. Il apparut que se mettre à l'abri était la meilleure chose à faire pour le moment, car si les sprinkhaans l’apercevaient, ils le rattraperaient en un instant. Puisant dans des réserves d'énergie dont il ne soupçonnait pas l'existence, il accourut vers ce visage amical. Une tuile glissa alors du toit. Le mari de l'épicière eut le réflexe salvateur de l'esquiver. Malheureusement, la tuile en question fut suivie d'une menace bien plus importante. Grisâtre, filiforme, une sauterelle chuta depuis les airs avant de se dresser de toute sa hauteur. Ses griffes pédestres s’enfoncèrent à même le bitume, tandis que ses quatre bras jusqu'à lors ballants se rigidifièrent. Enfin, ses sept yeux s'illuminèrent d'un pâle éclat de vie. En un éclair, son tentacule frappa le pauvre homme qui fut parcouru de spasmes durant quelques secondes avant de s'écrouler, mort.

Les yeux de Vallen s'écarquillèrent et s'emplirent de larmes. Tout n'avait duré qu'un bref instant. La bête avait surgi de nulle part de prit la vie d'un homme qu'il connaissait. La réalité de la mort le frappait de plein fouet, toutefois elle fut vite remplacée par un sentiment dévorant, à la fois exaltant et ravageur. La haine. Le garçon se rua sur l'assassin, bâton à la main. Peu importaient les risques. Peu importait le fait qu'il ne soit qu'un enfant. Peu important le vacarme assourdissant des hélices d'un appareil volant et les bruits de pas. Il ne parvint à se reconnecter avec ses cinq sens que lorsqu'une main puissante le tira en arrière par l'épaule et qu'une homme se plaça devant lui. Haut, large d'épaule, les cheveux coupés courts, il lui adressa un sourire rassurant.

-Reste derrière petit, tout ira bien !

Le nouvel arrivant agrippa un objet pendant à sa ceinture qui, de près ou de loin, ressemblait à s'y méprendre à une fourchette. Il se concentra une seconde lorsqu'elle fut dans sa main, puis l'ustensile grandit pour presque égaler sa taille. Il s'agissait en réalité d'un magnifique trident à l'allure redoutable. L'arme tournoya entre les mains du soldat, qui tenta un coup d'estoc aussi rapide qu'imprévisible. D'un bond en arrière, la sauterelle l'évita. Elle était sauve. Du moins pour l'instant. Le trident s'allongea en une fraction de seconde, empalant le sprinkhaan et l'embrochant sur la façade de la maison de l'épicière. Anéantie par la violence du coup, la bête s'évapora. L'homme se retourna, tira Vallen pour le placer dans son dos, et fit face aux deux autres monstres qui fonçaient vers eux en prenant de la vitesse par leurs six pattes. Le premier écopa du même sort que son camarade alors qu'il se trouvait à plus d'une dizaine de mètres du soldat. Quant au second, il tenta un bond impressionnant. Le trident redevint fourchette ; son porteur glissa en s'allongeant de tout son long. Alors qu'il passait à l'horizontale sous son adversaire, il redonna à son arme sa forme déployée. En ôtant les gravats enfoncés dans son pantalon, il se redressa, un sourire aux lèvres.

La bataille à sens unique continua quelques minutes dans le village. Les scamis et leurs compagnons avaient éliminés la menace avec tant d'efficacité que seules quatre victimes civiles furent à déplorer, un record. Entouré de ses parents, Vallen regarda, plein d'admiration, son sauveur repartir par l'hélicoptère dont il était arrivé. Jamais il n'oublia le visage d'Anthony Scott ; et jamais il n'oublia le visage insectoïde brodé sur son uniforme.