Vallen - Gaiden 2

-En rang la bleusaille !

Les quelque quarante cadets venus postuler à l'organisation obéirent sans ciller à l'ordre émis par Olivia Mucci. La jeune femme ne réprima pas un sourire tant elle se délectait de sa toute nouvelle fonction. En temps normal, elle n'était qu'une recrue lambda de Mantis, moins compétentes que la plupart de ses camarades, toujours à traîner dans les pattes du second officier. Mais depuis quelques mois, on la chargeait d'accueillir les jeunes recrues, et elle se découvrait tyrannique. Un despote amical et rieur. Elle respectait profondément la volonté de cette bande d'adolescents. Ils n'avaient pas froid aux yeux pour tenter de rejoindre les rangs ultra-sélectifs de l'OSC. Parmi eux, Vallen, quatorze ans, tentait tant bien que mal de retenir ses tremblements. Cette femme l'effrayait. Le discours qu'elle tint ne fit qu'aller dans ce sens.

-Écoutez moi bien ! Vous vous croyez braves ; vous vous croyez forts. Vous êtes persuadés que personne ne vous arrive à la cheville parce que vous battez à mains nues les clampins de vos trous respectifs ! En venant jusqu'ici, vous pensez pouvoir devenir des héros ! Je pense que vous en êtes capables. Peut-être que vous ne manquez pas de courage, de force. Peut-être même que vous êtes incroyablement futés. Et tout cela, je m'en contrefiche ! Ce qui importe ce n'est pas ce que vous êtes, mais ce que vous faites ! Aujourd'hui et demain, vous allez passer de nombreux tests. Nous allons vous évaluer, tester vos capacités d'adaptation. Vous êtes quarante, et il n'y en aura sans doute que trois ou quatre qui seront retenus. Vous suivrez alors une formation éprouvante jusqu'à vos dix-huit ans. Chaque jour, sans repos ! Allez, compagnie, en marche !

Olivia claqua des talons, effectua deux quart de tours, puis pénétra dans le bâtiment qui lui faisait dos quelques instants plus tôt. Les cadets la suivirent en silence, jusqu'au douzième sous-sol. Là, ils pénétrèrent dans une salle de classe ou chacun dut s'asseoir derrière le pupitre qui leur était destiné. Vallen n'en montrait rien, mais il était déjà épuisé. Il était arrivé à l'organisation deux semaines auparavant, et avait passé tous les tests nécessaires jusqu'à en arriver à la conclusion suivante : il ne pouvait pas devenir un scami. La voie du scamt pourrait éventuellement s'ouvrir à lui après sa majorité, mais il n'était pas certain d'en vouloir. Selon les dires de certains, la nihine rendait dépendant au-delà de l'imaginable, faisait perdre la raison et pouvant causer la mort en cas d'absence de consommation. Quitte à mourir en servant son pays, il préférait que ce soit sur le champ de bataille plutôt qu'à cause d'une overdose. Olivia reprit la parole, le tirant de ses pensées.

-Bien ! Vous avez devant vous des questionnaires. Logique, connaissances, personnalité. Ces trois domaines seront étudiés. Répondez franchement, et faites de votre mieux. Vous avez une heure.

À peu de choses près, cela ressemblait à une analyse de psychiatrie scolaire. Mais ce test était, à n'en pas douter, bien plus subtil. Valentin avait observé ses camarades, écouté leur conversation. La plupart répondaient à la description qu'en avait fait Olivia devant le siège de l'organisation. Des gros bras écervelé. D'autres avaient le profil du petit génie névrosé qui cherchait à s'affirmer, et les derniers manquaient cruellement de personnalité. Sans doute énuméreraient-ils toutes leurs qualités dans les questions libres de ce test, étaleraient-ils leur savoir quitte à déborder du sujet. L'adolescent tentait quant à lui de voir plus loin que le bout de son nez. Les questions qu'on leur posaient étaient relativement simples pour peu d'y réfléchir. Trop simples pour un groupe aussi élitiste. Le piège était là. Vallen répondit juste en omettant volontairement quelques détails, et fut bref lorsqu'il s'agit de rédiger son introspection. Il eut fini en vingt minutes. Olivia, entre temps rejointe par d'autres hommes dont le visage ne disait rien au garçon, ramassa les copies à la fin du temps réglementaire.

On emmena ensuite les cadets dans une salle d'arme, sans instruction aucune. Des épées, haches et autres engins de mort antiques étaient disposés ça et là sur des râteliers mis en évidence. Tout ceci en était presque grossier. L'on cherchait visiblement à les observer, savoir comment ils se comporteraient en absence de figure d'autorité. Il y avait parmi eux ceux qui avaient perdu d'avance. Ceux-là, téméraires, avaient déjà empoignés des lames et se laissaient aller à quelques passes. Vallen, les mains jointes dans le dos, préféra les observer à mi-distance, empoigner une arme de temps à autres pour en jauger l'équilibre avant de la reposer. En réalité, tout le monde semblait avoir compris qu'ils étaient observés. Certains cherchaient donc à impressionner par leurs talents de combattants, d'autres par leur stoïcisme. L'ennui se fit rapidement sentir. Olivia réapparut au bout d'une longue demi-heure et, sans une explication, les emmena toujours plus bas dans les sous-sol. Le dix-neuvième était la reproduction d'un territoire urbain dévasté, représentant avec une certaine fidélité un champ de bataille. Olivia, sur un grand écran digital, leur expliqua comment allait se dérouler la suite des événements.

-La première étape de cet entraînement est des plus simples ! Vous êtes poursuivis par une horde de khaan, il vous faut atteindre le point de ralliement qui se trouve ici. Votre temps est limité ! Cet automate représentera votre poursuivant. Préparez-vous.

Les postulants se mirent tous en ligne, attendant avec tension le coup de sifflet qui ne tarda pas à arriver. Une course effrénée s'ensuivit. Les plus athlétiques, loin devant, se détachaient si bien du peloton qu'ils furent bientôt hors de vue sur ce terrain peu praticable. Vallen n'en faisait pas partie, loin de là. Il donnait tout ce qu'il avait, mais ne parvenait qu'à être en-dessous de la moyenne, et sentait son souffle s’accélérer. Son endurance n'était certainement pas sa principale qualité. Il ne tiendrait pas bien longtemps ainsi. Un regard en arrière lui apprit que les plus lents avaient déjà été disqualifiés. Mais pas seulement. L'automate allait vite. Trop vite. Peu importe les qualités physiques des plus rapides d'entre eux, ils n'atteindraient jamais le point de ralliement à temps. À vrai dire, personne ne pourrait l'atteindre. Alors que la troupe était censée bifurquer à gauche au prochain croisement, Vallen préféra continuer tout droit et tourner à l'opposée quelques dizaines de mètres plus loin. Là, il se percha sur les décombres d'un bâtiment, hors de vue de tout adversaire au sol, et conserva sa position d'observateur discret. Comme il l'avait prévu, tous ses homologues avaient échoués. Lorsque l'ensemble de la troupe fut reformée, Olivia continua d'hurler.

-Bien joué, vraiment ! Tous morts. Et vous, Arvaleon, on peut savoir à quoi vous jouiez ?

Vallen se sentit rougir. Il détestait prendre la parole en public, encore moins lorsqu'il défendait un point de vue qu'il savait juste. Car quoi que puisse faire paraître leur examinatrice, il voyait clair dans son jeu. Son numéro du soldat despotique n'était là que pour intimider ceux qui n'en valaient pas la peine. L'adolescent rompit le rang et répondit malgré lui.

-Nous n'étions pas en mesure d'atteindre le point de ralliement. Les ordres étaient insensés, il fallait tenter une stratégie alternative. Une dispersion pour éventuellement prendre nos adversaires à revers, ou au moins permettre à une partie d'entre nous de s'en sortir. Peut-être tout simplement gagner du temps de la sorte en attendant des renforts.

-Ah, monsieur joue au malin ! Mais si il n'y a pas de renforts ?

Le garçon sembla hésiter, puis bomba le torse.

-Alors au moins, nous aurions fait le maximum de dégâts plutôt que de mourir inutilement.

Les résultats tombèrent le soir même. Tous ceux qui avaient eu de trop bons résultats au premier test furent recalés. Vallen l'avait compris : une organisation militaire ne recherchait pas de soldats qui en avaient trop dans le crâne. Il avait préféré biaiser ses résultats pour se situer au dessus de la moyenne sans que le résultat puise le desservir. Ceux qui, dans la salle d'arme, s'étaient battus, furent également recalés. Leurs talents individuels n'avaient aucune utilité s'ils ne cherchaient qu'à en tirer une gloire personnelle. Cela aussi, Vallen l'avait compris. Enfin, les plus lents d'entre eux lors de la poursuite purent également refaire leurs bagages. Une bonne condition physique restait essentielle dans ce milieu. Le lendemain, lors de la seconde batterie de tests, ils n'étaient plus que douze.