Vallen - Gaiden 3 [Feat Anya]

Douze, puis neuf, puis cinq. Sur la quarantaine de concurrents, seule une demi-dizaine avait été retenue. Vallen en faisait partie. Il quitta définitivement son domicile, s'installant dans l'appartement de fortune qu'il partageait avec deux de ses homologues. Il était à présent officiellement cadet de l'organisation, et ne comptait pas s'arrêter là. Trois années passèrent, fastidieuses. Le garçon, devenu adolescent, apprenait le maniement des armes blanches et étudiait la stratégie militaire ainsi que l'histoire, les sciences, les langues. Petit à petit, il gagnait en assurance et en charisme. Sa vivacité d'esprit lui permettait de se démarquer de ses camarades. Il n'hésitait pas à prendre des initiatives, qui la plupart du temps s'avéraient salvatrice. Ce jour-ci, alors qu'il était âgé de seize ans et des poussières, on le convoqua, lui et quinze autres aspirants. Ils s'installèrent en silence sur les sièges qui leur étaient destinés, devant une estrade encore vide. Vallen en profita pour faire un rapide tour d'horizon de ses semblables. Il n'en connaissait réellement qu'un, et ne l'appréciait guère malgré ses qualités en tant que soldat. Après tout, peu lui importait. Quel que soit le test, il le surmonterai sans difficulté, comme toujours. En surplomb, derrière une glace sans tain, trois hommes observaient l'assemblée. Valentin était l'un d'eux.

-Allez-y, ordonna-t-il à Anthony, qui sortit de la pièce.

Restaient le dirigeant de l'organisation et le chef des services scientifiques, Arthur Gilipi. Cet homme se chargeait d'étudier les effets et les possibilités qu'offraient la nihine, et avait grandement contribué à la mise en place du programme S.C.A.M.I. Depuis peu, il s'intéressait également aux sauterelles mais n'avait eu l'occasion d'en étudier une vivante. Il semblait qu'une fois capturées, ces créatures étaient capables de mettre fin à leur jour. Les travaux dans l'armement menés par Cahill et Kouzmitch avaient également suscité son intérêt, mais il avait finalement décidé de se spécialiser dans l'aspect médical de ses recherches. Ainsi, tout le personnel susnommé travaillait directement sous ses ordres.

-Alors, qu'est-ce qu'on fait ? Uniquement scamt, c'est ça ? demanda-t-il.

-Pour ceux qui réussiront et qui le voudront, oui. Et tu vas être content, j'ai trouvé quelqu'un qui accepterait peut-être de te servir de cobaye.

-Arvaleon, c'est ça ?

Valentin acquiesça en silence. Le projet d'Arthur était ambitieux. Prendre un humain lambda, sans la gène, et faire en sorte que, par une succession d'opérations plus risquées les unes que les autres, il puisse devenir un scami. Le taux de réussite estimé était à 11,3%. Et un échec signifiait une mort certaine. Personne ne serait prêt à prendre un tel risque, surtout lorsqu'il était simplement possible de devenir un scamt, avec comme seule conséquence une dépendance de plus en plus maîtrisée à la nihine. Mais Valentin avait compris que leur jeune recrue serait prête à tout. Depuis la première batterie de tests, il s'était pris d'affection pour Vallen. Le garçon était habile pour se frayer un chemin vers son objectif, mais était trop enclin à l'insubordination. Ses initiatives auraient du lui coûter sa place, cependant le dirigeant avait insisté pour qu'il puisse tout de même continuer au sein de l'organisation. Il n'était pas déçu. Arvaleon était un cadet brillant, qui avait réponse à tout, et visait juste la plupart du temps. Il était plus petit que ses camarades, moins élancé, mais maniait aussi bien l'épée que le meilleur d'entre eux. À chaque simulation, tous ceux qui suivaient ses directives s'en sortaient à merveille – or de plus en plus le suivait. Il avait gagné leur respect à tous, et aurait pu être le chef parfait sans cette arrogance qui le caractérisait. On le disait trop sûr de lui, hautain, voire persuadé d'être intellectuellement supérieur à ses équipiers, et parfois même à ses instructeurs. Il n'avait pas hésité à remettre en cause leur lucidité en public. En somme, un garçon doué et ambitieux, mais infantile. Il serait prêt à tout pour gagner en pouvoir. Il serait volontaire, c'était certain.

-Annonçons lui que la réussite est de 11,3 %, cela lui suffira, jaugea Valentin. Mais si ça marche, décale la virgule d'un cran vers la gauche. Il ne faudrait pas qu'on soit en surpopulation mutante.

En contrebas, Anthony entrait dans la salle. Vallen cacha tant bien que mal sa déception. Ils étaient à priori l'élite des aspirants de l'OSC, et on leur envoyait pour instructeur le leader de la pire des équipes. Mantis avait une très mauvaise réputation, qui était justifiée. Ils laissaient nombre de victimes humaines sur leur passage, ne parvenant pas à finir le travail proprement. D'autres équipes devaient régulièrement venir les seconder, Proteles en tête, et c'était chez eux qu'on déplorait le plus de pertes militaires. Scott avait pris la tête de cette bande d'incapable quelques mois auparavant. Un léger mieux se faisait sentir, toutefois on restait bien loin du niveau d’excellence d'Odonata, Couleuvre ou surtout Aves. Un coup d'œil apprit à l'adolescent que le désappointement était global. Beaucoup s'attendaient à voir entrer Valter Ohlsonn. Pour autant, Vallen admirait Anthony. Il n'oubliait pas que c'était lui qui lui avait sauvé la vie quelques années plus tôt. L'intéressé, loin d'être gêné du peu de considération évident qu'on lui portait, s'éclaircit la voix.

-Salut, je suis Anthony Scott, chef de Mantis, et cetera, et cetera. Vous le savez déjà normalement. Allez, on en vient au fait ! Demain, on va décider qui sera digne de devenir scamt. Pour ça, vous allez être balancés dans une parcelle du désert par équipe de deux. Pas de panique, on sera au-dessus de vous, et si le danger devient trop grand, on intervient. Mais vous leurrez pas : vous pouvez quand même y rester. Les groupes ont été tiré au sort, les voilà :

Quelques noms défilèrent, puis arriva le tour de Vallen. Il faisait équipe avec une fille dont le nom ne lui disait absolument rien : Anya Belse. Il s'agissait à présent de la trouver et de faire connaissance.

L'excitation était visible sur le visage d'Anya. Pour la première fois depuis le début de son laborieux entrainement, elle allait se retrouver en situation réelle. Son parcours à l'OSC avait été tumultueux. Unique femme dans sa promotion, elle avait du s'adapter à un entourage masculin et assez machiste. Cela se traduisait par un travail deux fois plus important de sa part, dans le but de justifier sa place auprès de tant d'hommes. Et cela portait visiblement ses fruits, puisque l'adolescente était considérée comme "prometteuse" pour la plupart de ses professeurs, elle n'arborais pas encore son style de junkie qui plairait tant aux spectateurs quelques années plus tard, mais plutôt une apparence de jeune femme sûre d'elle et d'un sérieux extrême. Ses capacités au dessus de la moyenne et son appartenance à la gente féminine ne faisait pas d'elle quelqu'un de très populaire auprès de ses camarades, ce qui avait pour effet de renforcer sa personnalité assez réservée, et parfois même presque hautaine.

Se concentrant sur le discours d'Anthony Scott, Anya fronça les sourcils lorsqu'elle comprit que le test final serait un travail d'équipe. Elle avait bien conscience que savoir coopérer étais essentiel en équipe, mais sa promotion lui semblait bien trop immature pour que les choses se passent bien. Vallen Arvaleon. Elle ferait équipe avec un des cadors de sa promotion. Le "hasard" annoncé par Scott ressemblait en tout point à un mensonge. Ils se démarquaient tous les deux pour leurs compétences au dessus de la moyenne. La jeune femme supposa qu'il s'agissait d'une manière de voir si leur travail en duo ne serait pas une compétition. Sa théorie lui sembla confirmée lorsque deux de ses camarades dont on connaissais l’antipathie réciproque se retrouvèrent ensemble. Haussant les épaules, elle regarda Arvaleon, qui semblait la chercher du regard sans avoir la moindre idée de ce à quoi elle ressemblait.

Avec un visage de marbre, Anya se dirigea vers son coéquipier en se demandant si Vallen étais déçu d'être allié à une femme, comme l'auraient sans doute étés la plupart des hommes qu'elle connaissait ici. Tapotant sur son épaule, elle lui tendit la main et déclara d'un air froid et professionnel :

-Anya Belse, à ton service.

Vallen dévisagea sa camarade lorsqu'elle s'approcha de lui, la scrutant de la tête aux pieds à deux reprises. Elle faisait à peu de choses près la même taille que lui, et maintenant qu'il pouvait mette des traits sur son nom il se souvenait de l'avoir déjà vue, ou plutôt aperçue, à quelques reprises. On entendait souvent fuser quelques compliments à son égard, mais également nombre de plaintes stipulant qu'elle n'était pas assez féminine. Les choses de l'amour échappaient à l'adolescent, qui ne cherchait guère à s'y initier. Aussi, le genre de sa coéquipière ne le préoccupait guère pour peu qu'elle soit compétente. Il s'inclina légèrement en réponse à sa vive présentation.

-Vallen Arvaleon. Si nous devons faire équipe je dois savoir tout ce que tu es capable de faire, tes spécialités. En fait il faudrait que je sache tout sur toi.

Presque imperceptiblement, le cadet avait haussé le ton, à la fois pour s'imposer dans la conversation et pour que les autres puissent en entendre des bribes. Son autorité devait être établie dès à présent s'il voulait diriger ses troupes à moyen terme. Or il comptait bien prendre la tête de l'une des équipes de l'organisation. Il se retourna discrètement pour voir si Scott l'avait remarqué, ce qui ne semblait pas être le cas. Le soldat passait de groupe en groupe sans rien dire, se contentant d'écouter les quelques stratégies qui commençaient à se mettre en place. Certaines avaient matière à le faire grimacer, mais il devait s'abstenir de tout commentaire ou conseil. Demain, ils seraient seuls. C'était une épreuve d'adaptation, de travail d'équipe, une simulation à échelle réelle. Et cela permettait par la même occasion à l'organisation de passer un petit coup de balais du côté du désert.

Anya approuva d'un geste de tête les dires de Vallen. Cette épreuve étais clairement une évaluation du travail d'équipe, et ils étaient des inconnus l'un pour l'autre. Néanmoins, la jeune femme n'appréciais que peu la manière dont se déroulait la conversation. Malgré le fait qu'Arvaleon pose des questions sur elle, Anya n'avait pas l'impression qu'il soit totalement concentré sur la conversation. De plus, son ton dirigeant ne lui plaisait pas. Elle ne le lui fit pas remarquer, mais le lui rappellerais lorsqu'elle aurait l'occasion de le voir seul.

- Pour faire court, je suis une assez bonne épéiste, j'ai une très bonne connaissance du fonctionnement social des Khaans, isolés autant qu'en groupe. Mon objectif est de devenir scamt, et je ferais tout pour y parvenir. Je compte donc réellement sur toi pour parvenir à mon but. Qu'en est-il pour toi?

Vallen haussa les sourcils, faisant preuve d'un étonnement loin d'être feint. Il était persuadé que tout le monde à l'organisation, ou du moins tous les aspirants le connaissaient déjà de réputation. Tout portait malheureusement à croire que le plan mis en œuvre pour gagner le soutien de ses camarades était encore imparfait. Enfin, il avait l'occasion de prêcher une nouvelle figure qui le soutiendrait le moment venu! Il s'éclaircit la voix et lui adressa un sourire teinté d'orgueil.

-On dit de moi que je suis un stratège hors-pair. Je suis parvenu aux meilleurs résultats dans soixante pour cent des simulations auxquelles j'ai participé, et ait amélioré considérablement les performances de ceux qui suivaient mes directives. Je suis le meilleur de ma promotion à l'épée, et j'ai un bon sens de l'observation. Ma connaissance des théories militaires est infaillible.

Anya regarda sa nouvelle connaissance débiter son C.V., dubitative. Elle avait le sentiment qu'il récitais une leçon apprise par coeur, de la manière la moins naturelle possible.

- C'est dommage d'être aussi bon... Tu ne pourras jamais être meilleur déclarat-elle cyniquement.

Elle culpabilisa légèrement de répondre aussi ironiquement à ce qui semblait être le stéréotype du premier de la classe. Bien qu'elle aurait voulu l'enfoncer d'avantage, elle s'en abstint, pour le bien du duo qu'ils allaient former. Mais ce Vallen l'insupportait au plus haut point. Il ne semblait avoir aucun recul sur lui même, ou si ce n'étais pas le cas, il paraissait vouloir se montrer bien plus fort qu'il n'étais, juste pour épater la galerie. N'étant pas sûre qu'il ait comprit l'ironie de son propos, elle repris :

-Je n'ai rien contre la confiance en soi. Néanmoins nous allons nous retrouver dans un désert de Khaan, en situation réelle, chose qu'aucun de nous n'a jamais vu autrement que pas des retransmissions télévisuelles. Excuse moi d'être vulgaire, mais sur le front, plus d'un soldat expérimenté chie dans son froc. Tu m'as l'air d'avoir des tripes, mais n'oublie pas que les meilleurs épéistes tombent comme des mouches, face aux Khaans...

Dès lors qu'elle eut fini sa phrase, Anthony Scott tapa des mains, et l'assemblée agitée redevint silencieuse.

- Maintenant que vous avez pris connaissance de l'importance de cette épreuve, ainsi que de sa difficultés, je vous conseille une bonne nuit de sommeil. Nous nous retrouverons demain, à l'aube. Mesdames, Messieurs, Rompez.

Étonné de l'assurance dont faisait preuve sa coéquipière fraîchement désignée, Vallen ne sut que lui rétorquer. Au moins, elle ne se laissait pas amadouer facilement. Si les autres s'en rendaient compte, il n'en tirerait que plus de prestige le jour où elle se rangerait derrière lui. Il préféra donc attendre que le chef de Mantis leur donne les directives à suivre, puis se dirigea vers la sortie de la pièce en saluant Anya d'un simple geste. Ainsi, ils se retrouveraient sur l'héliport trois, à huit heures tapantes. Une perspective à la fois excitante et redoutable. Les seize cadets traversèrent la porte, prêts à retourner à leurs occupations, soit un entraînement intensif pour la plupart.

-Vallen !

L'intéressé se retourna pour identifier la source de cet appel, bien que la voix lui eut déjà donné un indice des plus flagrants. Il n'y avait qu'une personne ici dont les intonations étaient encore celles d'une petite fille. Nitilde, les cheveux roux rudimentairement coiffés en un carré désordonné, trottait impatiemment vers lui. Elle allait vers ses dix ans mais faisait déjà preuve d'une étonnante maturité, doublée d'une étrange gentillesse, rare chez ceux de son âge. Parce qu'elle était la benjamine et qu'il voyait en elle une sœur qu'il n'avait pas eu, Vallen se montrait incroyablement doux à son égard, ne refusant jamais de la cajoler si son emploi du temps le lui permettait. Cela ne manquait jamais d'étonner les cadets, qui connaissaient un adolescent hautain et autoritaire, mais certainement pas affectueux.

Vallen se rendait à peine compte de ce changement de comportement pourtant radical en sa présence. Nitilde lui avait été présentée le jour de son arrivée, et on lui avait fait promettre qu'il n'en parlerait à personne en dehors de l'organisation. La petite semblait avoir un secret qu'elle peinait à garder, et le garçon prenait soin de ne jamais insister ni même évoquer le sujet. Les premières semaines, il s'était étonné de la voir courir seule dans les couloirs du sous-sol, puis l'avait aperçue en compagnie de nombre de recrues qu'il connaissait de vue. Il avait alors compris qu'elle était l'une de ces étincelles d'innocence qui leur permettait à eux, soldats, de conserver leur humanité dans un univers empli d'une violence insoutenable. À sa manière, elle revêtait une importance majeure dans l'équilibre de l'organisation. Et dans celui de Vallen.

Il avait craint la réaction de Valentin Aënis lorsque celui-ci viendrait à apprendre leur complicité, ce qui n'avait eu peine à se faire. Ce fut à cette occasion que Vallen découvrit un homme à l'allure décontractée, léger dans ses gestes et ses mots, avec un faux air de dandy anglais. Tout l'inverse du portrait parlé qu'on lui en avait fait. Valentin le chargea, à raison de quelques heures par semaine, de servir à la fois de tuteur scolaire et de camarade de jeu pour sa fille, qu'il disait trouver trop agitée ces temps-ci. Le quadragénaire en profita également pour féliciter Vallen pour ses résultats plus qu'encourageants, ce qui ne manqua pas de gonfler son ego. Depuis lors, les Aënis faisaient partie des individus les plus chers aux yeux de l'adolescent. Il adressa un grand sourire, presque niais, à la fillette qui arrivait à son niveau. Celle-ci lui envoya un regard accusateur.

-Ça fait longtemps que t'es pas venu me voir !

Il ne pouvait que plaider coupable mais n'était en rien responsable : on leur avait imposé un nombre croissant d'entraînements et de simulations en vue de ce fameux examen sur le terrain.

-Je sais, s'excusa-t-il. On a eu beaucoup de travail.

-C'est pas grave ça. Mais c'est vrai que tu vas combattre les sauterelles ?

-Oui, avec Anya Belse. Vous voyez de qui il s'agit ?

Le vouvoiement, initialement contre nature, s'était finalement imposé lorsqu'ils étaient en public. Il s'agissait là d'une manière pour Vallen de montrer qu'il était conscient du gouffre social qui les séparait, bien que tout cela aie des relents féodaux. Dès qu'ils n'étaient plus qu'entre eux, le « tu » régnait sans partage sur les autres pronoms.

-C'est elle, répondit la fille en montrant Anya du bout de l'index, mais je m'en fiche. Tu vas mourir si tu y vas.

L'adolescent, surprit par le sérieux de son timbre, s'accroupit pour se retrouver à sa hauteur, plongeant ses yeux dans un regard gris qu'elle voulait assuré.

-Aucune chance, fit-il en baissant le ton. Je suis très fort, ils ne me font pas peur.

-Non, c'est pas vrai. Tu es trop gentil, t'aimes pas faire de mal aux animaux. Quand tu dois tuer une araignée, tu préfères la prendre sur ta main et lui caresser le dos.

-D'accord, mais les sprinkhaans sont des monstres, pas des animaux.

-Je sais que tu me mens. Je sais toujours quand les gens mentent.

Nitilde tentait de rester calme, mais ses tremblements et ses poings serrés sur le tissu de sa longue jupe la trahissaient. Vallen acquiesça en silence. Il était vrai que sa jeune amie voyait souvent clair dans le jeu de ceux qui la croyaient moins maligne qu'elle ne l'était. Plus encore, elle la connaissait par cœur. Il ne pouvait nier ne pas être certain d'être capable d'ôter une vie, aussi abjecte soit-elle.

-Je serais avec Anya, et Anthony Scott veillera sur nous. On ne craindra rien.

La fillette hocha frénétiquement la tête, puis s'avança pour la poser sur le torse de Vallen tandis qu'il l'encernait de ses bras. Elle ne voulait pas perdre son ami, et cette étreinte les rassurant autant l'un que l'autre. Il ne l'avouait à personne et peinait à le reconnaître, mais Vallen était mort de trouille. La situation était embarrassante. Les cadets encore présents dévisageaient le soi-disant prodige de leur promotion, incrédules. Anthony, fanfaron comme à son habitude, y alla de son petit commentaire :

-Regardez-moi comme ils sont mignons ces deux-là !

Vallen se sentit rougir et voulut se dégager, mais Nitilde le retint. Elle essuyait tant bien que mal les esquisses de larmes qui humectaient ses yeux. L'adolescent ne put endiguer un pincement qui endolorissait son cœur. Il était à la fois ému et attristé que quelqu'un se fasse autant de souci pour lui.

-Je reviendrai, t'en fais pas.

-Promets-le moi sur ce que t'as de plus cher, fit-elle de sa voix étouffée.

-D'accord. Alors je le promet sur ta tête.

-C'est pas juste, se plaignit la gamine, plus amusée qu'offusquée.

Il continua de passer avec douceur une main dans ses cheveux, attendant qu'elle eut fait disparaître toutes ses larmes. Même si cela le touchait, il ne supportait finalement pas de la voir pleurer. Pas par sa faute. Pour que cela ne se reproduise pas, la solution la plus simple était de devenir suffisamment fort pour que plus personne ne puisse s'inquiéter de sa sécurité. Demain, il prouverait à toute l'organisation qu'il l'était déjà. Anya semblait tout à fait compétente également. À eux deux, ils surmonteraient tous les obstacles.

"Un homme étrange que ce Vallen" pensa Anya en le scrutant enlacé à la jeune mascotte de l'OSC. Un instant petit con prétentieux et à un autre personnage sensible réconfortant une enfant inquiète. La jeune femme l'avait peut être mal jugé, au final. De toute manière, qu'il soit sympathique ou pas n'avait que peu d'importance. Elle ne comptais pas rester en contact avec lui par la suite, qu'ils soient ou non admis dans le projet S.C.A.M.T. Anya et lui semblaient avoir des objectifs bien différents. Si lui semblait vouloir -de part son attitude- atteindre les hautes sphères, elle ne désirait qu'être une scamt d'exception, œuvrant pour la paix dans l'efficacité et la discrétion.

Lui faisant un rapide signe de tête, elle s'éloigna vers sa vétuste chambre. Elle se couchait dès à présent, et se lèverait trois heures avant l'aube, afin de s'échauffer pour l'épreuve, et de s'accorder une petite demi-heure de relaxation. Demain, ils seraient des héros.

L'après midi aurait du être mouvementée. Les techniques les plus subtiles de l'escrime auraient du être révisées, et des petits combats avaient été organisés dans la salle de Mantis, amicalement prêtée par Anthony pour cette occasion si particulière. Mais l'adolescent avait fini par se dire qu'un surmenage n'aurait pu que détériorer ses capacités et avait préféré se détendre quelques heures auprès de sa jeune amie avant d'aller se reposer au mieux. Tout était parfaitement calculé : sa position allongée optimale, la nature et la quantité de nourriture qu'il ingurgitait. Et les résultats étaient au rendez-vous. Le lendemain, à l'héliport, il se sentait en pleine forme. Observateur comme à son habitude, il tenta de dévisager rapidement tous ses homologues. Ils avaient plutôt bonne mine et fière allure, dans les uniformes qu'on leur avait attribué. Lui même en était plutôt satisfait. Ils étaient à la fois souples et résistants, léger et consistants. S'ils ne les sauveraient pas des redoutables griffes des khaans ou de leur fameux coup de jus, leur aide serait bienvenue pour amortir la majeure partie des chocs, pour peu qu'ils soient au rendez-vous.

Anya semblait nimbée d'une aura toute particulière en ce jour. Elle n'avait pas cet orgueil propre aux aspirants de leur promotion. Au contraire, il lui semblait déceler en elle un certain flegme, qui la rendait autrement plus intéressante que n'importe qui d'autre parmi les seize. Vallen était finalement satisfait d'avoir été désigné pour faire équipe avec elle. La veille dans la soirée, il s'était quelque peu renseigné. Si ce que l'on disait s'avérait exact, ils étaient à n'en pas douter la meilleure équipe possible. Cela était loin d'être anodin. Les examinateurs porteraient sur eux un regard particulier, auraient de plus hautes attentes à leur égard. En rang, ils attendaient patiemment l'arrivée du chef de Mantis, qui ne tarda pas à les rejoindre et à se placer devant eux, les mains fourrées dans les larges poches de son pantalon. Sa posture en fit intérieurement tiquer plus d'un.

-Cadets, vous partez pour une mission de nettoyage, au Sud-Est de l'Allemagne ! Nous évaluerons vos capacités à survivre en milieu hostile, munis uniquement des rations élémentaires et sans moyen de communiquer. Vous devez tenir cinq jours et cinq nuits. En cas d'urgence, pas la peine de beugler : on surveille déjà. N'oubliez pas l'enjeu, mais ne perdez pas de vue qu'il s'agit d'un travail d'équipe. Votre vie dépendra de vous. Et ça, ça importe peu ! C'est tout le temps vrai. Ce qui change, c'est que la vie de votre équiper dépendra également de vous ! Cadets, bonne chance. Que dieu vous garde.

Deux par deux, ils entrèrent dans les bumpers qui allaient les mener à destination. Les angoisses auxquelles avaient été confrontées Vallen se dissipèrent lorsque l'engin décolla. Il se sentait fort, et fier de faire partie de l'organisation dont il côtoierait bientôt l'élite. L'adolescent examina rapidement l'équipement qu'on leur avait fourni. Les rations tiendraient deux jours, trois en tirant au maximum. Il leur faudrait trouver de quoi se sustenter sur place, à base de vieilles conserves dans les supérettes laissées à l'abandon. Du moins s'ils avaient la chance d'être laissés près d'une zone urbaine. Ils étaient également légers niveau armement. On leur avait fourni une épée à chacun, ainsi qu'un large couteau de chasse et un arc pour deux. Pas de quoi aller bien loin, mais ils s'en contenteraient.

-Tu sais tirer ? demanda Vallen en désignant l'arme de jet.

La tension montait peu à peu dans les différents bumpers. Certaines recrues trituraient les armes qu'on leur avait confié, d'autres conversaient frénétiquement de sujets banals afin de faire disparaître le stress. Anya, quant à elle, gardait les yeux fermés, et essayait de trouver son "lieu de sérénité" en elle même. Le trajet ne durerait pas longtemps. La jeune femme avait besoin de ce moment de quiétude avant de risquer sa vie pour l'honneur de devenir une scam. Malheureusement, Vallen avait décidé de l'ennuyer avec des questions stupides, probablement à cause de l'angoisse danger se rapprochant. Ouvrant les yeux, elle regarda l'arc quelques instants, avant de déclarer :

- Comme tout le monde dans l'OSC. Je ne suis pas mauvaise.

Refermant les yeux, montrant à Vallen qu'elle ne souhaitais pas continuer cette discussion, elle ne les rouvrit que dix minutes plus tard lorsqu'un bruit significatif venant du bumper indiqua qu'ils se trouvaient désormais en vol stationnaire. Se levant en même temps que Vallen, elle plaça son épée à sa ceinture et le couteau dans sa botte. Puis elle mit négligemment son sac sur une de ses épaules. La porte du véhicule s'ouvrit, et deux cordes métalliques se déroulèrent.

- Bonne chance! leur déclara le pilote. Je garde un œil sur vous!

Faisant un signe de tête à Vallen, elle agrippa une corde de ses deux mains et se laissa glisser jusqu'à la terre ferme.

Le désert des khaans ; pinacle de l'hostilité et maître des fantasmes. Ici, la nature avait repris ses droits, attaquant sans ménagement toute trace de civilisation humaine. Vallen et Anya avaient atterris dans ce qui semblait être une ancienne zone agricole. Ça et là, des fils barbelés emprunts de rouille dépassaient des jeunes fourrés en pleine expansion. Quelques poteaux servant autrefois à acheminer les câbles électriques s'étaient renversés, tandis que d'autres vacillaient dangereusement au moindre coup de vent. Au sol, on pouvait deviner les traces d'une ancienne route goudronnée. Cette remise en cause de la suprématie industrielle de l'homme avait été fulgurante. Un mystère de plus qui venait s'ajouter à l'apparition des sauterelles. Peu importe la direction vers laquelle ils se tournaient, il était impossible de distinguer ce qui s'apparentait à un village. L'idéal serait de suivre les câbles ; seulement ils pouvaient compter trente kilomètres de marche si la chance n'était pas de leur côté. Avec le peu de réserves dont ils disposaient, leur paquetage et les éventuels sprinkhaans qu'ils croiseraient en route, une telle marche pourrait s'avérer fatale. Vallen se plaça face à son équipière.

-Bon, nous avons plusieurs possibilités. Soit nous dissimuler dans un environnement relativement couvert comme cette forêt, soit tenter de retrouver trace d'une ville. Une autre option consiste à trouver une seconde équipe et à s'associer.

La forêt avait ses qualités. Ils pourraient aisément chasser, faire un feu, et seraient à l'abri des khaans trop curieux qui s'aventureraient par là. Le confort ne serait en revanche pas de mise, et l'ennui finirait vite par s'installer. En outre, il n'était pas impossible que l'organisation attende quelque chose d'eux. Ce n'était pas simplement une simulation de survie, mais un test, une observation. Leurs intuitions permettrait de sélectionner les meilleurs d'entre eux et serait décisive pour leur future assignation à l'une des huit équipes. En ville, ils auraient l'avantage de pouvoir accéder à un abri couvert, ce qui serait d'une grande utilité en cas d'assaut surprise. De même, pour peu que le destin en décide ainsi, ils tomberaient sur quelque moyen de communication en état de marche, et surtout sur des vivres.

Une plissure apparut sur la tempe d'Anya. La question n'étais pas évidente. Comment devaient ils agir, et qu'attendaient leurs supérieurs?

- La forêt serait une mauvaise idée. Certes, nous aurions une certaine domination sur les Khaans une fois installé là bas. Mais il faudrait avant tout sécuriser la zone, et nous ne savons pas si ils sont nombreux dans ce périmètre. Je pense que la direction attends de nous de tuer le plus de sauterelles possibles, en prenant le moins de risques possibles. Nous devrions partir à la recherche d'une ville, de ravitaillements. Qu'en dis tu?

L'idée d'alliance avec une autre équipe était excellente, il y avait d'ailleurs songé BIEN AVANT Vallen, néanmoins, connaissant ses acolytes, elle doutait qu'ils acceptent une telle coalition, autant par orgueil que par manque de nécessité apparente. Ils garderaient cela en tête lorsque qu'ils croiseraient leurs camarades. En attendant, ils devaient se mettre à l'action.

Vallen acquiesça sans engouement, veillant à ne pas esquisser un semblant de compliment à l'adresse de la lucidité de son équipière. Les khaans attaquaient principalement les espaces urbains, dans un premier temps pour les vider de toute vie puis pour en détruire les infrastructures. Il arrivait parfois qu'ils se réunissent dans ces villes désaffectées pour y errer. À plusieurs reprises, ce phénomène avait intéressé l'organisation qui avait envoyé des drones pour les épier et tenter de comprendre leur comportement. La conclusion était sans appel : les sauterelles apparaissaient, attaquaient, puis devenaient des coquilles sans âme ni objectif. Ceci étant, les petits regroupements de ces créatures ne posait habituellement que peu de problèmes ; mais la plèbe ne voyait pas les choses sous cet angle et quémandait la libération de leurs campagnes.

Le test des cadets était donc une parfaite occasion de passer un petit coup de balais qui ferait d'une pierre deux coups. En ce point, Anya avait raison. Il faudrait en abattre le plus possible pour gagner les faveurs de leurs supérieurs qui ne manqueraient pas de scruter leur moindre faits et gestes. Ce qui n'incluait pas pour autant l'obligation de foncer tête baissée. Les deux adolescents se mirent d'accord. Ils n'avaient aperçu sur le chemin de ville, aussi décidèrent-ils de tirer leur direction au hasard. Le côté pile d'une piécette les induisit donc à filer vers l'Est en suivant les restes de poteaux électriques, encore très utilisés dans ces zones excentrées. Vallen ouvrait la marche, le pas déterminé, mâchouillant l’extrémité d'une longue tige végétale. Nul autre son que celui de leurs pas réguliers ne venait déranger le silence de mort régnant sur le désert.

Il leur fallut un peu moins de trois heures pour arriver à destination. Située en contrebas d'une colline arpentée par une route à moitié recouverte par la végétation abondante, la petite cité était invisible depuis le plateau duquel ils venaient. À vue de nez, elle ne devait contenir que quelques centaines d'habitants avant son abandon. Les ruines d'un château se dressaient fièrement en son centre, où les avenues marchandes se croisaient. La périphérie était quant à elle constituée d'habitations basses mais étendues, dont les jardins arboraient souvent une large piscine privée ou un potager personnel. Les fruits et légumes plantés ça et là continuaient de pousser après toutes ces années . Au moins, les jeunes recrues auraient de quoi se nourrir sans épuiser leurs provisions.

Anya et Vallen avaient presque passé l'écriteau annonçant le nom « Duvengorf » lorsqu'un être filiforme attira l'attention de l'adolescent. Il sauta aussitôt derrière un buisson, invitant sa camarade à le suivre, et passa discrètement la tête au-dessus. C'était un sprinkhaan, à une petite centaine de mètres. Ses bras allongés se balançaient au rythme des ses pas saccadés qui lui faisaient dessiner des cercles. De temps à autres, il se stoppait, scrutait l'horizon de ses sept yeux, puis se remettait en marche comme si de rien n'était. Derrière lui, trois de ses semblables s'adonnaient à un rituel similaire, si ce n'était que l'un d'entre eux se tenait sur ses six pattes et traînait péniblement son tentacule derrière lui. On aurait dit qu'ils manquaient d'énergie, cependant le brillant de leurs griffes et l'aura électrique au bout de leur appendice dorsal ne laissait pas de place au doute : ils étaient dangereux.

-Je propose qu'on les prenne en tenaille en passant par les ruelles. Dans des espaces clos on les affrontera en un contre un, la victoire sera assurée.

Vallen était confiant. Il savait que peu pouvaient rivaliser avec lui arme à la main parmi les soldats de l'OSC. Alors une simple bestiole ne l’effrayait pas. Tout du moins tentait-il de s'en convaincre. La promesse faite à Nitilde lui revint à l'esprit. Il reviendrait en un seul morceau. Une telle optique requérait une prise de risque minimale, mais il ne pouvait pas gagner les faveurs de Valentin sans passer à l'attaque. Sa lame chuinta délicatement en se défouraillant. Il était prêt.

La stratégie de Vallen semblait parfaite. En infériorité numérique, prendre leurs adversaires dans les renfoncements des rues bloquerait au moins deux des Khaans, le temps qu'ils assassinent les premiers. Anya hocha la tête, puis, dans le langage militaire des signes, indiqua à son acolyte lorsqu'ils se disperseraient. Lorsque le moment vint, elle se baissa au maximum afin de réduire sa visibilité, puis partit s'engouffrer dans une des rues adjacentes. Une fois hors de la vision des sauterelles, elle fit un léger clin d'oeil à Vallen afin de lui indiquer qu'ils se retrouveraient dans la rue adjacente où se trouvaient leurs ennemis. Courant le plus discrètement vers cette zone, elle tomba nez à nez avec un cinquième Khaan à une intersection. La jeune femme étais hors de la vision de Vallen, et celui ci pouvait engager le combat avec les autres monstres sans qu'elle soit présente... Dans l'urgence, et pour éviter un coup de jus impromptu de la bête, Anya tomba sur les fesses. En difficulté, elle n'avait pas sorti son épée afin de gagner en rapidité. Énorme erreur, le Khaan se dirigea vers elle, sans défense. Effectuant une roulade vers l'avant, elle passa derrière la sauterelle, dégaina son arme, et cédant à la panique, donna une dizaine de coups plus digne d'un bucheron que de l'élite militaire européenne sur son ennemi. Le Khaan, mort et disloqué dès le premier coup aurait eu un drôle de spectacle à observer si il s'en étais sorti. Une femme échevelée, couverte de sueur, se remettant tant bien que mal de son premier affrontement avec l'ennemi public numéro un. Essuyant une grosse goutte de sueur sur son front, Anya se remit en chemin vers le point de rendez vous.

"Mon premier Khaan" pensa t-elle, émue et angoissée à cette idée.

Vallen attendait patiemment, les mains serrées sur le manche de son épée. La lame était longue et fine, avec un seul tranchant diaboliquement aiguisé. Il s'agissait en somme d'une arme destinée à taillader et porter des coups d'estocs, redoutable en théorie. Loin d'être son modèle de prédilection, mais il savait qu'il pourrait se débrouiller avec. Anya avait été chargée de faire le tour pour les surprendre dans leur dos. Elle avait le rôle le plus exposé, mais Vallen lui faisait confiance. Tout, dans sa façon d'être, clamait son professionnalisme malgré son jeune âge. Lorsqu'il dirigerait sa propre équipe, il la voudrait à ses côtés. Après plusieurs paires de minutes qui semblèrent s'éterniser, sa camarade apparut, dans la ruelle qui faisait face à la sienne. Restait à savoir vers qui les khaans allaient se tourner. Leur cible n'aurait plus qu'à reculer entre les étroites rangées d'habitation jusqu'à que les quatre sauterelles s'y soient engouffrées, puis le second cadet surgirait par derrière.

L'un des sprinkhaans arrêta brusquement son petit manège pour se dresser de tout son long. Dos droit et jambes tendues, il était d'une bonne tête plus grand qu'un adulte, et trois fois plus fin. Son tentacule, jusqu'à lors flasque et traînant à même le sol, se redressa pour brasser lentement l'air, comme si la créature cherchait à se débarrasser d'un moucheron encombrant. Puis la tête pivota lentement pour que les sept yeux luisent en fixant la même direction. La même personne. Anya. Le tentacule se raidit. Aussitôt, les pérégrinations hasardeuses des autres monstres prirent fin, et ceux-ci allèrent rejoindre leur homologue. Dans un ensemble parfait, ils se mirent en marche vers l'adolescente. Vallen déglutit. Il était grand temps d'y aller lui aussi. Agenouillé, il posa le plat de son pied droit à terre, y prit appui, se redressa, et, de stupeur, s'immobilisa.

Un cinquième khaan venait d’atterrir juste devant lui, depuis le toit du bâtiment adjacent. Les trois griffes de ses membres inférieurs, profondément plantées dans le bitume recouvert de mousse brunâtre, se rétractèrent. Les articulations se retournèrent tandis que les quatre bras se mirent en marche, propulsant la bête à folle allure.Tout droit vers Anya. La sauterelle n'avait pas remarqué Vallen. Ce dernier avait pourtant lâché son arme et tremblait de tout son corps. Des flashs lui revenaient en tête. Les deux abominations au bout de la rue, une troisième tuant sans vergogne le mari de l'épicier avant de se tourner vers lui. Il avait déjà eu affaire aux sprinkhaans et avait failli mourir. L'organisation les avait pourtant préparé. Ils avaient eu droit à de nombreuses simulations, à de nombreux tests psychologiques. Il était prêt, il le savait ! Mais aussi éveillé son esprit soit-il, la terreur sans nom que lui inspirait l'ennemi mettait du plomb dans ses membres.

L'épée à la main, Anya étais prête à l'engagement. Les Khaans l'avaient repérée en première, et se dirigeaient vers elle, chacun à leur propre rythme. C'étais donc à Vallen de les prendre de revers et de profiter de l'effet de surprise pour les exterminer. Alors que la sauterelle la plus proche d'elle se trouvait à moins de deux mètres, la jeune femme jeta un coup d'oeil à son coéquipier. Vallen se trouvait à genoux, tremblant de tout son corps. La situation étais critique... Elle ne pouvait pas attaquer les khaans à cinq contre une, cela aurait été du suicide. Elle s'apprêtais à rebrousser chemin, repassant par la ruelle d'où elle venait lorsqu'elle compris que dès lors qu'elle aurait disparu du champs de vision des monstres, ces derniers se jetteraient sur Vallen, qui dans sa position, n'avait aucune chance. Rangeant son épée au foureau, elle sortit le couteau qu'on lui avait fourni avant la mission. Ce changement stratégique d'arme lui permettrais une plus grande mobilité. Fonçant sur les Sprinkhaans, elle contourna le premier d'une pirouette, coupa un tentacule du second, qui étais à deux doigts de l'attaquer, et parvint à égorger, avec vaillance, mais surtout beaucoup de chance le troisième. Malheureusement, ses deux derniers ennemis s'étaient adaptés pour faire en sorte qu'Anya ne puisse atteindre son partenaire. Un simple coup d'oeil derrière elle lui permit de constater que les deux autres Khaans lui bloquaient une éventuelle retraite.

Elle étais complètement bloquée, prise en tenaille et seule contre quatre adversaires se rapprochant lentement mais surement d'elle. Une fenêtre barricadée se trouvait à sa droite. Utilisant son couteau pour tenter, tant bien que mal, de décrocher une des planche, la jeune femme étais en pleine panique. Les Khaans étaient à deux pas d'elle et semblaient prêts en finir avec elle. Un nombre incalculable de clous bloquaient la planche. De désespoir, Anya donna un violent coup d'épaule sur la latte de bois, qui vola en éclat. Du bois pourri... La chance lui souriait finalement. Profitant de sa taille fine, elle s'engouffra dans la fenêtre. Des échardes se plantèrent dans son corps déjà éprouvé par le récent combat. Elle se retrouva dans une maison délabrée dont la seule lumière venait de la plainte qu'elle venait de détruire. Les Sprinkhaans tentaient sans succès de l'attaquer, incapables de traverser la fenêtre comme elle.

Elle s'autorisa quelques secondes de repos. Les khaans ne devaient pas avoir encore repéré Vallen, mais ils ne pouvaient pas combattre avec son allié dans cet état. Heureusement, elle avait repérée que la porte d'entrée de la maison dans laquelle elle avait trouvé refuge n'étais pas loin d'où se trouvait Vallen. Elle devrait pouvoir le ramener ici rapidement. Un craquement lugubre interrompit ses pensées. Se retournant, elle aperçut un Khaan reposant sur quatre de ses six pattes, et s'apprêtant à se jeter sur elle. Reculant de quelques pas, elle se cogna au niveau du bassin sur quelque chose qu'elle supposait être une table. Le monstre saisit cette occasion pour prendre son élan et bondir sur elle. Une lutte s'engagea alors entre Anya et le Khaan, qui ne pouvait tourner en la faveur de la jeune femme, disposant de deux paires de bras en moins. Comprenant que le seul moyen de s'en sortir était d'intercepter la tentacule du monstre, elle la saisit de ses deux mains, et tenta de la retourner contre la bête. Tirant de toutes ses forces, elle parvint à faire suffisamment mal au Khaan pour qu'il relâche son emprise sur elle. Profitant de cette occasion, Anya dégaina son couteau et l'enfonça dans la tête du monstre. La bête disparut en volute. Épuisée, la jeune femme se forçat néanmoins à se relever et fonça vers la porte. Elle tourna les verrous en vitesse puis sortit à l'air libre. La lumière du soleil l'éblouit quelques instants, mais elle n'y prêta pas garde, courant vers Vallen.

Elle se baissa et passa son bras sous les aisselles du jeune homme, qu'elle porta sur les cinq mètres qui les séparaient de la porte. Ils s'affalèrent tous deux dans l'entrée de la maison, les Khaans à leur trousse. Donnant un coup de pied sur la porte, Anya les enferma à l'intérieur, dans une sécurité toute relative...

- Relève toi, soldat, j'ai besoin de toi.

Elle regarda son acolyte, couvert de poussière, ne reconnaissant pas le jeune prétentieux qu'elle avait rencontrée hier. Elle étais tentée de lui faire des remarques assez désagréables sur ses soi-disantes capacités incommensurables à l'escrime et sa fiabilité hors norme, mais s'en abstint. Cela aurait été plus que contre-productif. Anya se contenta de poser une main sur son épaule.

- On va s'en sortir fit elle, sans vraiment y croire.

Vallen avait observé le combat, plongé dans un état léthargique. Il savait qu'Anya avait besoin de son aide, il en avait conscience. Elle était en danger, et lui aussi le serait s'il n'agissait pas. Au prix d'un effort dont il ne serait pas cru capable, il parvint à refermer ses doigts sur son arme. On lui avait enseigné son maniement. Il pouvait vaincre ces créatures. Ce plan étant le sien, il ne pouvait pas se permettre de le faire échouer. Il allait réussir cette mission, retourner à Paris en un seul morceau, devenir un scamt puis un héros. Lui à qui on ne prêtait jamais attention, lui qu'on haïssait tout bas, lui en qui on ne croyait pas ; le garçon introverti, cynique. Il allait montrer au monde qu'il valait bien plus que cela. Mais la réalité des héros était toute autre. Leur parcours était jonché de violence, de terreur. Vallen n'était pas prêt pour ça. À cet instant, l ne rêvait plus que de retourner dans son village, loin de tout, blotti dans l'épais duvet du cocon familial.

Une force inconnue le souleva alors du bitume qui meurtrissait ses genoux. Vallen reconnut la chevelure brune de sa camarade, et se surprit à la trouver jolie au moment le moins approprié. Sans doute était-ce dû à son apparition salvatrice au milieu du flou de sa morosité. Anya le traîna sur quelques mètres avant de refermer vivement une porte en bois épais. Ce fut une première claque. Les quelques mots de la jeune fille constituèrent la seconde, suffisante pour ramener Vallen à la réalité. Ils étaient enfermés dans une maison aux fenêtres barricadées, desquelles seuls quelques rayons de soleil émanaient. La pénombre, bien que pesante, avait quelque chose de rassurant ; ceci étant ils étaient encerclés par les sauterelles et ne pourraient tenir bien longtemps si l'ennemi pénétrait leur risible forteresse. Cela ne tarda pas. Un khaan s'était mis à six pattes et avait pris l'élan nécessaire pour atteindre la vitesse de course d'un lévrier. Tout proche de la façade, il bondit et se mit en boule. Sa masse lancée à vive allure percuta les baraquements déjà endommagés pour les faire voler en éclats. La bête atterrit sur la moquette poussiéreuse et se déplia dans le flot de lumière, faisant luire sa douzaine de griffes.

Une lumière qui apportait également l'espoir. Vallen se leva à son tour. Ils étaient en mauvaise posture par sa faute, il était donc normal qu'il les en sorte. Sa lame fendit l'air alors que le khaan se remettait tout juste de son effort. Une main fut sectionnée, suivie d'une profonde entaille au niveau du torse. Si elle avait eu une gueule, la bête aurait certainement hurlé sa douleur. Or les sauterelles ne souffraient pas. Le tentacule se dressa puis fusa vers Vallen, s'illuminant d'une lueur bleuâtre. Du plat de sa main libre, l'adolescent parvint à le dévier in extremis et profita de l'élan rotatif de son geste pour planter son épée dans la blessure d'où le sang s’évaporait en volutes opaques. La désagréable résistante opposée par les chairs mutilées fut bientôt remplacée par le seul poids de l'arme qu'il fallait de nouveau soutenir. Le sprinkhaan s'était désagrégé. Vallen prit un bref instant pour accepter le fait qu'il avait ôté la vie, lui qui avait des scrupules à écraser des insectes. Mais il ne s'attarda pas et se tourna vers Anya.

-Désolé, j'ai perdu mes moyens mais je reprends les choses en main. On va s'en sortir, mais pas en s'enfermant ici. Il faut qu'on sorte, et vite !

Ils allaient être justes au niveau du timing, mais ne disposaient pas d'autres options. Les sauterelles s'apprêtaient à entrer par la fenêtre brisée. Vallen s'empressa de l'enjamber et fit de grands gestes horizontaux, suffisamment menaçants pour maintenir les bêtes à distance pendant qu'Anya le rejoignait. Ensemble, ils se mirent à courir, droit vers le petit château. Il était certes en piteux état, mais la disposition des salles d'une telle bâtisse leur offrirait une meilleure couverture. Vallen avait retrouvé ses esprits. Le meurtre de son premier monstre l'avait finalement galvanisé, et tout lui semblait clair à présent. La moindre de ses leçons, le moindre de ses entraînements, des conseils donnés par les prédateurs lui revinrent en tête. Tant qu'ils étaient sur leurs jambes, les sprinkhaans se déplaçaient moins vite qu'un homme, et il leur fallait plusieurs secondes pour retourner leurs articulations, ainsi que quelques paires supplémentaires pour atteindre leur vitesse maximale. Un laps de temps suffisant pour rejoindre les ruelles et s'y engouffrer jusqu'au château, où ils iraient jusqu'à une salle sans fenêtre. De là, ils aviseraient.

Les deux aspirants forçaient. Leurs jambes les fit bientôt souffrir, mais ils tenaient bon, conscients que leur vie en dépendait. Vallen, à peine aussi grand mais moins élancé que son amie, avait quelques mètres de retard. Dès qu'une sauterelles s'approchait dangereusement, il se retournait pour frapper et repartait aussitôt. Dans ce dédale de ruelles, les angles droits s'avéraient de précieux alliés car, moins réactifs que leur proie, les créatures devaient presque se stopper pour effectuer un tel virage. De fait, les adolescents tentaient d'en emprunter le plus possible et gagnaient ainsi une avance précieuse. Les khaans avaient compris qu'ils ne pourraient pas rattraper ces cibles mouvantes. L'un d'entre eux retourna à sa bipédie, et leva haut son tentacule. En émanèrent plusieurs flashs de la lueur caractéristique des coups de jus, à une intensité autrement plus élevée. Vallen décida de ne pas s'en préoccuper pour le moment et continua sa course folle jusqu'à qu'ils fussent tout deux dans la cour intérieur du châtelet. Ils choisirent un escalier, s'y engouffrèrent, puis dégotèrent sans difficulté une pièce répondant à leur critère de recherche. Une fois celle-ci fermée et verrouillée, le garçon se posa à même le sol, haletant allègrement.

-À ton avis, c'était quoi ces flashs ? demanda-t-il sans relever les yeux.

Au dehors, des sauterelles encernaient la bâtisse. Par dizaines.

Leur course effrénée vers la sécurité du château avait laissé Anya pantoise et éreintée. Elle avait néanmoins appréciée le fait que Vallen revienne dans la course et se montre enfin utile... Elle avait remarqué comme lui l'étrange activité des Khaans, et savait que c'étais mauvais signe pour eux...

- Je pense que c'est un appel aux renforts... Ils sont de plus en plus nombreux, et en activité maintenant... Nous devrions monter sur les murailles, une fois reposés... On pourra en dégommer quelques uns et savoir ce qu'ils préparent...

Le crépuscule allait bientôt tomber. Ils décidèrent de manger quelques rations de survies avant de mener à bien leur mission de reconnaissance... Dégustant avec avidité la nourriture fade et froide qu'on leur avait fournie, Anya demanda :

- Qu'est ce qui t'es arrivé tout à l'heure?

Vallen s'était adossé au mur de pierre, une jambe tendue, l'autre recroquevillée, son menton posé sur son genou. Il réfléchissait. À un moyen de les sortir de cette situation pour le moins périlleuse. L'une des options constituait à piéger le château, mais cela nécessitait dans un premier temps de trouver la salle d'arme. Pour cela, il leur faudrait sortir de leur abri et s'exposer à ces créatures létales. Le tout en supposant que cette bicoque perchée au sommet d'un village perdu recèle l'objet de leur désir. Vu la faible démographie, il aurait été étonnant que le seigneur local ait eu à s'équiper de plus d'une épée au cours des siècles d'obscurantisme. L'adolescent soupira. Au moins, même si les bêtes parvenaient à enfoncer la porte, elles se retrouveraient à un contre deux. Si elles n'étaient que quatre ou cinq comme leur poursuite l'avait laissé suggérer, alors ils avaient une chance de l'emporter. Mais si Anya avait raison et que d'autres venaient secourir leurs semblables, ce serait une toute autre histoire.

Quand la jeune fille proposa de dîner, Vallen acquiesça avec entrain. Ce n'était d'accoutumée pas un gros mangeur, mais il avait plus que jamais besoin de quelque chose dans le ventre, et ne faisait pas la fine bouche malgré l'écœurante saveur de leur pitance. Il venait de mordre à pleines dents dans un morceau de viande séchée lorsque Anya lui posa la question qu'il ne voulait pas entendre. C'était dans le fol espoir de la contourner qu'il évitait soigneusement le regard de son homologue depuis leur arrivée. Pour une personne aussi fière que lui, admettre une telle faiblesse tenait de l'humiliation. Pourtant, il se sentait en relative sécurité aux côtés d'Anya. Malgré son âge, elle était à des années lumières des considérations des autres cadets de l'OSC. Son ego, pour peu qu'elle en ait un, ne se manifestait que très discrètement. Elle privilégiait le fond plutôt que la forme, s'avérait efficace, courageuse, et surtout, elle lui avait sauvé la vie. Sans la moindre hésitation. Alors que son potentiel rival dans l’ascension militaire était en difficulté, elle l'avait aidé. Jamais Vallen ne l'aurait fait.

-Ça remonte à des années...

Leurs yeux se croisèrent enfin. Et Vallen comprit que, malgré tout ce que pouvaient en dire les autres et ce qu'il tentait de se faire croire, l'un d'entre eux était autrement plus adulte que l'autre. Pour la première fois, il ne se sentit pas rabaissé en découvrant quelqu'un de meilleur que lui. Alors il raconta tout. Pas seulement l'attaque des khaans, mais toute son enfance, l'intervention d'Anthony, ses premiers pas à l'organisation, sa peur inconditionnelle des sauterelles. Sa peur des humaines, également. Le complexe de supériorité qu'il avait fini par s'auto-diagnostiquer, le désamour qu'il se portait parfois, l'affection qu'il portait à Nitilde. Ses doutes, ses espoirs. À aucun moment, la présence menaçante des sprinkhaans ne lui revint à l'esprit jusqu'à que tombe la nuit. Il se sentait allégé. Plus vulnérable et pourtant plus fort que jamais. Seul un bâton lumineux les éclairait à présent. Peu de choses étaient certains à propos créatures, mais il était avéré qu'elles ne voyaient pas de nuit. Anya et Vallen non plus, mais ils étaient équipés de lunettes à cet effet.

-Allez, on monte voir ce qu'il en est.

Après avoir ouvert la porte en prenant soin qu'aucun son n'en émane, les adolescents se glissèrent furtivement jusqu'à la cour intérieure d'où tous les escaliers s'élançaient. L'un d'eux menait indubitablement vers le donjon, d'une hauteur certes réduite mais largement suffisante pour qu'ils aient une vue d'ensemble sur le village. Avant même d'avoir pu l'atteindre, ils constatèrent qu'aucun khaan n'avait pour l'heure pénétré l'enceinte du château. Un bon point. Malheureusement, la suite ne s'avéra pas aussi glorieuse. Une fois les quelques dizaines de marches en colimaçon grimpées, les deux recrues purent se pencher sur les étroites meurtrières ornant la façade et établirent amèrement que le nombre de sauterelles avait augmenté au-delà de leurs pires craintes. Sans pouvoir en être tout à fait certain, ils en comptèrent une cinquantaine. Un dixième d'entre eux aurait été suffisant pour les tuer tous les deux. D'un mouvement de tête, Vallen désigna la fusée de détresse qui dépassait légèrement de son sac entrouvert. L'utiliser leur sauverait probablement la vie, mais pourrait également peser lourd dans la balance et signifier pour leurs examinateurs un échec.

Anya étais sidérée par ce qu'elle entendais. Le Vallen prétentieux, qu'elle imaginais tout droit sorti d'une riche famille aristocratique, était en fait une coquille protégeant le gamin sensible qu'il avait été, et qu'il étais toujours au fond de lui.

- Depuis que je te connais, je te prends petit con prétentieux... Pourquoi t'imposes tu ce masque? Tu es bien mieux tel que tu es ce soir! Maintenant, cessons les niaiseries. fit elle en se levant.

Dehors des dizaines de Khaans se mouvaient autour du chateau. La chance ne semblait pas de leur côté... Lorsque Vallen désigna les signaux de détresse du doigt, Anya hocha de la tête.

- Nous ne pouvons pas nous rendre, pas maintenant. Nous avons l'avantage de la position. Nous pourrions en isoler certains du groupe, et les tuer petit à petit. Les couloirs du château affaiblissent leur avantage numérique. Nous avons encore une...

La jeune femme s'interrompit soudainement. A l'est de leur position, dans le village, une fusée de détresse venait de commencer son ascension vers les astres, éclairant deux de leurs collègues en difficulté. Ils ne se situaient pas loin du château, mais se dirigeaient dans la direction opposée, paniquant visiblement face à l'énorme masse de monstres se trouvant dans les environs. Anya se tourna vers son coéquipier. Les renforts allaient mettre du temps à venir, et la position haute des deux réfugiés permettait de voir que les néophytes se dirigeaient droit vers un groupe d'une dizaine de sauterelles. Ils devaient agir

Vallen tentait de jauger rapidement la situation. La fusée de détresse était partie ; les secours de l'organisation ne tarderaient donc pas à arriver. Pour autant, leurs camarades auraient probablement perdu la vie d'ici là. Dans tous les cas, l'épreuve était terminée pour eux, car l'intervention des troupes d'Anthony biaiserait également le résultat de leur duo. La présence d'autres cadets leur était tout sauf bénéfique et la question qui se posait alors était la suivante : joueraient-ils la sécurité en demeurant à l'abri dans leur forteresse de fortune, ou se risqueraient-ils à secourir leurs amis au péril de leur intégrité ? Il y avait au moins trente sauterelles devant la bâtisse, et une dizaine d'autres pour prendre les jeunes recrues en tenaille. Les risques en cas de sortie étaient majeurs, mais les conséquences d'une immobilité seraient bien pire encore. Leur lâcheté serait sanctionnée par une exclusion des rangs de l'organisation, et par une honte incommensurable. De par le fait et même sans cela, il n'y avait en réalité aucune hésitation à avoir. Vallen n'était pas homme à regarder ses semblables mourir.

L'adolescent fouilla dans son sac et en sortit une longue corde. Il fallait agir sans délai. Il fit signe à Anya de le suivre et s'engouffra dans les escaliers en colimaçon qu'ils venaient de monter. Son ordre ne découlait plus d'une quelconque ambition. En une telle situation, il n'y avait aucune place pour les caprices de l'ego. Une complicité était née entre eux : elle se mettait en place et leur permettait d'unir leur force pour gagner en efficacité, comme le ferait une véritable équipe. Une fois sur le chemin de ronde, Vallen attacha sa corde à une grille de fer qui devait sans doute servir à piéger les assaillants dans les temps anciens, puis la laissa choir sur la façade extérieure. Depuis la tour, il avait pu voir qu'il n'y avait aucun khaan sur ce flanc-ci. Le plan était simple mais risqué. Il faudrait se faufiler au plus vite dans les ruelles jusqu'à se retrouver derrière le second groupe de créatures. Les deux autres cadets, épuisés, étaient moins rapide qu'à l'accoutumée. C'était faisable. Le protégé de Valentin tendit l'arc à sa camarade.

Je crois me souvenir que tu sais t'en servir. Moi je suis plutôt mauvais avec ça.

Après avoir exposé son plan, il cala son épée entre ses omoplates et se mit à courir. L'entraînement de l'OSC portait ses fruits : les cadets se déplaçaient avec aisance, sans provoquer le moindre bruit susceptible d'attirer l'attention des sprinkhaans. Celles-ci, agglomérées, étaient léthargiques. L'extrémité de leur tentacule diffusaient une lueur bleuâtre tamisée, éclairant leur peau nacrée pour lui donner un aspect spectral dans la nuit étoilée. Vallen se détourna de ce spectacle envoûtant pour se concentrer sur sa course. Comme prévu, ils parvinrent à passer derrière leurs ennemis avant l'arrivée de leurs collègues. Anya recula plus encore, prête à décocher ses flèches. Ils se retrouveraient ainsi à quatre contre neuf. Ensuite, la fuite serait leur seule échappatoire. Elle ne serait pas aisée, mais le choix n'était pas leur. Arme à la main, Vallen attendait le signal de sa camarade, quand un détail le frappa. Il y avait neuf sauterelles. Pourtant, du haut de leur perchoir, ils en avaient compté dix.

En face, le second duo arrivait. Il était, comme le premier, mixte. Un garçon gigantesque se traînait, essoufflé, équipé d'une imposante lame qu'il devait manier sans difficulté compte tenu de son gabarit. Sa compagnonne, plus fine, avait de longs cheveux blonds tressés, tandis que deux tomahawks pendaient à sa ceinture. Vallen reconnut Marianna Conrad, de quatre ans son aînée. Elle était arrivée récemment à l'organisation, mais s'était rapidement fait un nom parmi les aspirants pour ses indéniables qualité de combattante. La jeune femme, désespérée et à cours d'idée, décida de recourir au langage universel de la violence lorsque les khaans lui barrèrent la route. Un premier coup partit, grossier, imprécis. La sauterelle l'esquiva d'un pas sur le côté avant de lancer ses deux poings droits, tranchés nets par l'épée du géant avant d'atteindre leur cible. Marianna dégaina sa seconde arme et enchaîna, mettant fin aux jours de la créature. Attiré par cette lutte, le reste du groupe accourut vers leurs assaillants. Vallen jaillit des ombres à cet instant, portant un coup d'estoc fatal qui traversa la base du tentacule, la nuque puis la gorge de son adversaire. Il y prenait goût. Les regards des recrues se croisèrent. L'allié surprise leur octroyait une chance de s'en sortir ! Redoublant d'ardeur, ils poussèrent de grands cris et se jetèrent dans la bataille,tailladant tout ce qui passait à leur portée avec un succès moindre. Même s'ils ne payaient pas mine, les khaans demeuraient de formidables prédateurs.